« Blaise Compaoré nous a reçu dans ses bureaux, raconte Koudbi Koala, ils ont échangé longuement. Le président pensait savoir comment Emmaüs s’est créé, des chiffonniers devenus compagnons, chargés de retaper et vendre des objets récupérés pour faire vivre leur communauté, mais il se trompait. L’abbé lui a raconté sa rencontre avec Georges, cet ancien bandit, son passage en prison, assassin de son père, condamné à mort puis libéré grâce à sa bonne conduite, son retour chez lui, la découverte de sa femme dans les bras d’un autre, son souhait de mettre fin à sa vie, et les paroles de l’abbé «je n’ai rien à te donner, mais peux-tu m’aider à aider ? ». Il termine son récit en disant à Blaise « Emmaüs a été créé grâce à un assassin ». Laurent et moi nous sommes regardés, paralysés, nous avons eu peur des représailles après ces paroles. Faire le parallèle entre Georges et Blaise, l’assassinat de son père et Sankara, signifier que chacun peut se repentir et être pardonnés de ses actes, c’était un message extrêmement fort. A-t-il compris la portée de ces paroles et décidé de les ignorer ? »
Blaise Compaoré va ensuite assister à l’ouverture officielle de l’Assemblée mondiale d’Emmaüs International. En tant que représentant de l’Etat, il aurait dû prononcer un discours officiel. Le Mouvement bouscule le protocole diplomatique et demande au chef de l’Etat de ne pas prendre la parole et d’assister en tant qu’observateur à l’Assemblée, ce qu’il accepte.
L’abbé Pierre et le chef d’Etat vont de nouveau se rencontrer quelques jours plus tard, en présence de 7 membres du Comité Exécutif d’Emmaüs International.
« Blaise Compaoré nous a reçu dans sa résidence privée cette fois-ci, se souvient Koudbi Koala. Après une longue discussion, le Président se lève, nous montre son jardin et les plans de sa future résidence, immense, à Ouaga 2000, un quartier riche de la capitale. L’abbé lui demande « Vous êtes marié ? » « Oui » « Vous avez des enfants ? » « Oui, une fille. » Il fait une pause et lui demande : « Et cela ne vous suffit donc pas ? Vous avez besoin de tout ça ? » Une fois de plus, je me suis figé, j’ai eu peur de sa réaction et des représailles. Dans un pays si pauvre, tout cet argent qui pourrait servir autrement, être injecté dans l’économie du pays, c’était vraiment du gâchis. Blaise ne s’est pas attardé sur ces paroles, et a continué sa discussion... »
Koudi conlut « l’abbé Pierre avait cette capacité à lancer des messages forts et s’adresser aux plus influents sans avoir peur des conséquences ».
