Emmaus International

Thomas Fraisse est l’auteur d’une biographie commentée de l’abbé Pierre, parue en 2017. Dans « Abbé Pierre. L’amour…la colère », ce philosophe de formation décrypte la pensée du fondateur d’Emmaüs, qui nourrit sa vie depuis l’adolescence. 

Vous avez rédigé une biographie commentée de l'abbé Pierre. En quoi cela se distingue-t-il d'une biographie classique ?
Je trouve le travail biographique intéressant quand on cherche la cohérence des idées d’un personnage. Je ne voulais pas faire une biographie chronologique, mais essayer de livrer une pensée digne. La collection « Compagnons de route » dans laquelle s’inscrit cet ouvrage a pour ambition de décrypter les paroles, les positionnements, les idées de grands personnages, pour en mettre en valeur la profondeur et la justesse. C’est d’ailleurs le premier essai consacré aux idées de l’abbé Pierre.
 
Pourquoi vous être intéressé au personnage de l'abbé Pierre ?
Depuis toujours, je suis très touché par les personnes qui donnent leur vie pour les plus défavorisés. Lycéen, je me suis beaucoup intéressé à la pensée en action. J’ai lu Gandhi, Sœur Emmanuelle, le Dalaï Lama, l’abbé Pierre… et ses paroles ont vraiment transformé ma vie ! L’abbé Pierre m’a permis de trouver une légitimité à ma colère, et de développer un engagement humble au service des autres. J’ai eu la chance de grandir avec ses coups de gueule à la télé et à la radio. Je me souviens que son discours, son ton, m’ont toujours interpellé. Il continue de me marquer et de m’inspirer au quotidien. J’admire sa fidélité à ses idées, sa capacité à ne tolérer aucune compromission, son courage d’être allé au-delà des faux-semblants de notre société…
Après avoir écrit un premier ouvrage consacré à Saint-Exupéry dans la même collection, c’est donc naturellement que j’ai proposé de travailler sur l’abbé Pierre.
 
Comment avez-vous travaillé sur cet ouvrage ?
Ce livre est le travail de 3 ans. J’ai lu des biographies sur l’abbé Pierre, puis lu les livres qu’il avait écrit, avant de lire les auteurs qu’il avait lu et qui l’avaient inspiré.
Peu à peu, en mettant en lien les événements et les idées, j’ai compris comment s’étaient construits certains pans de sa pensée. Chaque chapitre du livre correspond à une époque temporelle, mais surtout à l’approfondissement d’une de ses idées.
 
thomas fraisse capeCe travail vous a-t-il permis de mieux comprendre l’abbé Pierre ? Qu’avez-vous découvert ?
J’ai réalisé à quel point la notion d’espérance était importante pour l’abbé Pierre. « Espoir » et « espérance » occupaient une place majeure dans ses idées et sa vie, mais ce sont des thèmes très peu traités en philosophie.
Je pense que la vision de l’abbé Pierre est une leçon majeure pour le monde contemporain. Aujourd’hui, on a tendance à penser le monde de façon scientifique, statistique. On est « optimiste » ou « pessimiste ». On considère l’état du monde en dehors de sa propre participation, on trouve des excuses objectives dans le monde extérieur pour justifier sa non-action.
Quand on parle d’espoir et d’espérance, on s’implique au contraire personnellement dans la transformation du monde.
En 1954, malgré l’état objectif dans lequel se trouvait la société, l’Abbé Pierre a poussé un cri. Il a refusé de s’absenter du terrain du monde. Il a rappelé les gens à leur Humanité, les a délivrés de leur torpeur, par la force, la justesse de ses mots. Derrière tout ça, il y avait l’espoir.
 
Lui, qui était un homme d’action, quel était son rapport au travail intellectuel ?
L’abbé Pierre cachait bien son jeu. Derrière l’homme d’action que l’on connaît, et qu’il est devenu par la force des choses, sa nature était plutôt contemplative. Il nourrissait son action de nombreuses sources spirituelles et intellectuelles, et son action venait également nourrir ses réflexions.
C’est son intériorité, son travail intellectuel et spirituel qui lui ont permis de tenir, et parfois même de reprendre pied. A la fin de sa vie, il appréciait beaucoup d’avoir le temps de s’adonner davantage à ce travail intellectuel.
 
D’après vous, quels intellectuels ont été importants dans son cheminement ?  
Maurice Zundel, était l’une de ses principales inspirations spirituelles. François Garbit, Henri de Lubac, Pierre Teilhard de Chardin, Nicolas Berdiaev, lui ont également inspiré certaines idées. Le fait de ne pas accepter les lois de façon automatique, par exemple, lui vient certainement de la lecture de Nicolas Berdiaev, pour qui la bureaucratie d’une société vient écraser les personnes individuelles, et peut leur faire oublier leur propre humanité.
Mais l’abbé Pierre n’a jamais parlé de ses influences intellectuelles, non pas par manque d’honnêteté, mais simplement pour ne pas perdre son auditoire, et mobiliser le plus grand monde dans l’action.
 
Le discours de l’abbé Pierre est-il toujours d’actualité ? Peut-il continuer à inspirer les générations futures ?
Plusieurs des discours de l’abbé Pierre son extrêmement visionnaires. Dans les années 1990, il disait aux jeunes « comme je comprends que vous ne vouliez pas entrer dans cette course folle du travailler plus, pour gagner plus » puis il prédisait le retour à une société et à des valeurs beaucoup plus simples qui rappellent aujourd’hui les idées de Pierre Rabhi.
L’abbé Pierre fait partie de ces personnes dont les idées ne se démodent pas, parce qu’il s’abreuvait à des sources qui ne dépendent pas des modes. L’abbé Pierre n’était pas prisonnier du temps. Il voyait simplement le monde et l’humanité tels qu’ils devraient être.
 

 

Abbe-Pierre-L-amour-la-colere bdAcheter le livre :

« Abbé Pierre. L’amour…la colère », Thomas FRAISSE
TRANSBOREAL EDITIONS (11 février 2017)
Compagnons de route
192 pages, 14,90€
Français