Emmaus International

L’actuelle ambassadrice du Burkina Faso à Rome et ancienne garde des Sceaux au ministère de la Transition au Burkina Faso (2014), cultive des liens avec Emmaüs International, depuis trente ans. Elle soutient le Forum Mondial des Alternatives organisé par Emmaüs, et répond à nos questions

ITW Joséphine

Quand et comment avez-vous croisé la route d’Emmaüs International ?

En 1988, j’ai été invitée à participer à une réunion d’Emmaus Italie à Florence. C’est là que j’ai découvert le Mouvement, sa mission sociale et politique issue de la vision de l’Abbé Pierre sur la pauvreté et l’exclusion. J’ai visité les lieux de vie et de travail des « compagnons d’Emmaüs », ainsi que les centres de récupération, de tri et de vente de toutes sortes d’objets, de vêtements et de matériels usagés.

Par la suite, j’ai eu l’occasion d’entendre et de lire des témoignages et des paroles de l’Abbé Pierre. J’ai été séduite par l’intime articulation entre sa vision, sa conviction et son action. Il vivait ce qu’il pensait et ce qu’il disait. Il a réussi à travers le Mouvement Emmaüs, à restaurer la dignité et redonner un sens à la vie de millions de pauvres qui étaient relégués aux frontières de la société.

Que vous inspire le Mouvement Emmaüs ?

J’adhère profondément à l’idée que l’exclusion et la misère cesseront lorsque chacun trouvera normal et même obligatoire que les autres jouissent des mêmes droits que soi.

Les principes et les valeurs qui guident les actions des communautés Emmaüs visent à donner une place, un rôle et une identité à ceux qui y sont accueillis. Le mouvement Emmaüs reconstruit un statut nouveau à ses membres, en leur donnant la possibilité d’utiliser leurs talents cachés, leurs énergies et leur temps pour rompre le cercle vicieux de l’appauvrissement matériel, social et moral.

Cette démarche a inspiré et continuera d’inspirer les politiques publiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion.

Vous exercez dans le milieu de la diplomatie. Selon vous, quel rôle joue le politique dans le bien commun ? Comment le politique peut-il (ou doit-il) prendre en compte la société civile ?

S’il y a un domaine où le politique s’est accaparé du destin de l’humanité, c’est dans la gouvernance du bien commun.

A travers l’Etat, les gouvernants sont les premiers responsables de la gestion du bien commun pour l’intérêt général parce que telle est la finalité des politiques publiques. Malheureusement, les gouvernants pour la plupart, se sentent investis de pouvoirs illimités qui leur confèrent le droit de prendre des décisions et de fixer des orientations qui servent plus les intérêts du système économique dominant, plutôt que ceux des peuples.

Le réchauffement climatique et ses implications mortifères sur les écosystèmes, l’alimentation et la santé humaine, sont la preuve que les gouvernants des puissances économiques décident et agissent généralement pour d’autres buts que celui de la préservation de la planète et du bien-être des humains.

A l’avènement du concept de « bonne gouvernance » (heureusement abandonné parce que reconnue comme une supercherie…) et des règles, procédures et pratiques qui la sous-tendent, surtout à travers les mécanismes d’Aide pour le développement des pays du Sud, nous avons compris que le monde était dorénavant soumis à une seule idéologie, celle de la technocratie, du profit, de l’efficience, de la fonctionnalité et des cadres logiques.

Nous savons que ses principes, ses méthodes et ses instruments servent un système économique qui ne s’embarrasse ni des besoins, ni des droits, ni des états d’âme des pauvres, des groupes vulnérables et des minorités.

La société civile a-t-elle sa place dans la gouvernance du bien commun ?

Les mouvements sociaux, formés par des acteurs de la société civile qui se sont investis d’un mandat politique clair, sont à l’origine de la dénonciation de politiques et de pratiques économiques.

La société civile comprise au sens large devrait être systématiquement impliquée dans les procédures d’élaboration des politiques publiques qui touchent de près ou de loin la préservation du bien commun.

Avez-vous le sentiment que les plus marginalisés sont exclus de l’agenda politique ?  

Si un gouvernement reconnait qu’une catégorie de la population est exclue ou marginalisée, ça signifie qu’il reconnait en même temps que cette catégorie est victime d’un mode de gouvernance qui engendre des exclusions.

Le problème, c’est que les programmes nationaux de développement parlent généralement de la pauvreté et de l’extrême pauvreté à travers des données chiffrées telles que les taux d’accès à l’assainissement, à l’énergie, à l’eau potable, à la sécurité alimentaire, aux soins de santé, etc..

Ces données renvoient les gouvernants à des solutions techniques mesurables certes sur le terrain, mais qui ne peuvent en aucun cas prendre en charge le sentiment d’injustice et d’impuissance de ceux qui sont au bas de l’échelle sociale et même en dehors de l’échelle.

Propos recueillis en août 2018