Emmaus International

Homme politique béninois, Albert Tévoedjré est également un militant engagé pour l’accès de tous à une vie digne. En 1978, il publie « La Pauvreté richesse des peuples », qui sera le point de départ d’une longue amitié avec l’abbé Pierre.

Vous avez une longue histoire d’amitié avec l’abbé Pierre. Quand l’avez-vous rencontré pour la première fois ?

Mon premier souvenir de l’abbé Pierre remonte à 1952, alors qu’il était venu à Dakar. En 1954, j’étais étudiant à Toulouse lorsque j’ai entendu en direct son appel à la radio. A cette époque je ne le connaissais pas personnellement, mais j’ai été très marqué par cet appel d’un jeune prêtre, par le courage qu’il avait. L’abbé Pierre avait un don de communication exceptionnel.
En 1978, j’ai publié mon livre « La Pauvreté, richesse des peuples ». Ce livre a beaucoup parlé à l’abbé Pierre, et il m’a contacté, par l’intermédiaire d’un de ses amis prêtres qui était de Montbéliard, pour m’inviter à l’Assemblée mondiale d’Emmaüs de 1984. J’ai été très marqué par sa détermination à m’aider lors de la sortie de ce livre.

Qu’est-ce qui vous a marqué chez l’abbé Pierre, dans sa personnalité ou dans sa vision ?

C’est sa vision politique qui m’a particulièrement frappée, basée sur l’idée que la priorité doit aller aux plus souffrants, que « l’urgence est au partage ». J’ai tenté de transférer ces principes dans ma propre action. J’ai développé et porté l’idée d’un « minimum social commun » au Bénin, avec la conviction que nous devons tout faire pour que tout le monde ait au minimum accès à l’eau, à la nourriture, à l’éducation ou à un logement. Que chacun voie ses droits fondamentaux respectés.  L’abbé Pierre disait « un moment vient où quelqu’un doit dire non », et c’est ce que j’ai essayé de faire. C’est son courage, son engagement et sa capacité à dire non qui m’ont inspirés.
J’ai également été énormément marqué par sa foi. L’abbé Pierre voulait mettre en pratique l’Evangile. Je pense qu’il ne faut pas mutiler l’abbé Pierre. On a aujourd’hui tendance à mettre de côté le fait qu’il était avant tout un Homme de foi. Je souhaite rendre hommage à son engagement personnel et spirituel, car c’est cela qui a nourri son combat.

Vous a-t-il inspiré dans votre action ?

L’abbé Pierre m’a encouragé à entrer en politique. Il me disait : « il faut que vous alliez là où se prennent les décisions ! ». Il m’a soutenu dans la création de mon propre parti politique « Notre cause commune », ou lorsque j’ai été candidat aux élections présidentielles, parfois même en y mettant de sa propre poche.
J’ai toujours été un militant chrétien engagé, avec l’idée que le développement passait par la solidarité, qu’on ne pourrait atteindre la paix qu’en permettant à la base de se développer. Mes idées ont été renforcées et galvanisées par ma rencontre avec l’abbé Pierre.

abbe pierre albert tevoedjre

Quelle était sa vision du continent africain, et comment pensait-il qu’on pouvait accompagner son développement ?

Il n’avait pas une vision particulière à l’Afrique. C’était un citoyen du monde, avec une vision réellement universelle, et c’est cela qui me frappait. Il était en dehors de toute vision paternaliste. Ce qui l’importait était de pouvoir donner à chacun l’occasion de se réaliser, de montrer qu’il fallait prendre les gens tels qu’ils étaient, et qu’on pouvait remettre les Hommes debout, même quand certains les considéraient comme des « déchets », au ban de la société.
J’ai ainsi été très honoré de recevoir un passeport de citoyenneté universelle de la part d’Emmaüs International, en 2013.  

Vous avez contribué au redémarrage d’Emmaüs en Afrique au début des années 1990. D’où vous est venue cette volonté ?

Le développement du continent africain marche sur la tête. Emmaüs est un Mouvement qui donne de l’attention aux plus souffrants, ce qui en Afrique est une urgence quotidienne. C’est un modèle économique qui respecte l’Homme et respecte aussi l’environnement. Ce sont des bases solides sur lesquelles s’appuyer.

En 1990, vous avez milité pour le retour à la démocratie au Bénin, avec le soutien d’Emmaüs et d’une partie de la société civile. Pourquoi  était-il important qu’Emmaüs participe à cette campagne ?

Il était important que l’on participe au relèvement de l’Homme. On ne peut pas se développer quand on refuse l’autre, quand on est dans la négation de l’autre. Il fallait relever les plus souffrants.
Nous avons donc mené cette campagne « Pour le renouveau démocratique au Bénin ». Nous avons cherché des amis, qui partageaient nos idées, jusqu’à atteindre une masse critique de soutiens qui ont permis de faire triompher la démocratie. L’abbé Pierre s’est engagé personnellement dans ce combat, en prenant des risques, en rencontrant les responsables politiques.

Emmaüs International agit « dans les pas de l’abbé Pierre », en s’attaquant aux causes de la misère par le biais de l’interpellation politique. Vous qui avez assumé des responsabilités politiques, et êtes également un militant, que pensez-vous de cette façon de lutter contre la pauvreté ?

Une des façons de lutter contre la pauvreté est de montrer l’exemple, et c’est ce que l’abbé Pierre a fait tout au long de sa vie. L’abbé Pierre a longtemps été la personnalité préférée des français dans les sondages. Emmaüs, ce sont une multitude de personnes qui ont laissé un nom, et ont choisi de suivre le chemin de l’abbé Pierre pour le poursuivre. Il faut savoir monter sur le dos de ceux qui nous ont inspirés pour réussir à voir encore plus loin.

Cela fait maintenant plus de 28 ans qu’Emmaüs a redémarré en Afrique. Selon vous, Emmaüs a-t-il aidé les populations à prendre conscience de leurs droits ? Quelles sont les perspectives et les défis pour Emmaüs en Afrique ?

Je pense que l’arrivée de l’eau potable sur le lac Nokoué à travers le programme mené par Emmaüs International est une magnifique réussite. Cette action a un effet multiplicateur, c’est comme une nouvelle économie qui se met en marche. Non seulement la population a désormais accès à l’eau potable et à l’assainissement, mais elle a compris qu’elle pouvait avait la capacité de résoudre les problèmes elle-même, et qu’elle avait les moyens de se développer.